Dossier : Faut-il suivre la mode et les tendances ?
Pour autant, toute tendance est-elle bonne à prendre ?
Comment distinguer la tendance pérenne de celle connaissant deux mois de gloire avant de chuter ? Et puis d’ailleurs, comment expliquer une tendance ?
Tendance et tendances
Les tendances sont partout et on ne peut pas les éviter. Même le hipster le plus anti-système incarne une tendance à base de jeans slims, de vêtements achetés en frip’ et de cinéma indépendant…
Cela revient à tomber dans d’autres segments culturels, qui sont autant de marchés adressés par des acteurs économiques.
Partant de ce constat, inutile de juger de l’intérêt ou non de suivre les tendances, parce que vous en suivrez quoi qu’il arrive, et moi le premier : on ne peut simplement pas faire autrement.
La question devient alors « quelles tendances suivre ? ». Et c’est là qu’on va se creuser la tête.
Si on schématise de manière simple, on arrive à trois types de tendances :
- Les tendances de fond,
- Les tendances culturelles,
- Les tendances de marché.
Les tendances de fond
Les tendances de fond sont liées à la société dans son ensemble. Elles bougent lentement mais on ne peut pas les arrêter. Ce sont elles qui renversent les gouvernements, impulsent les mouvements sociaux ou entraînent les innovations dans nos sociétés et nos modes de vie.
Ces tendances peuvent avoir différentes origines : les innovations économiques (mécanisation), les nouveaux modes de communication (Internet, puis l’ère du mobile et des réseaux sociaux), mais aussi les guerres, les luttes civiles ou alors les périodes de difficultés économiques.
Elles ont un impact direct et profond sur nos façons de nous habiller. Mais cette influence est peu perceptible, car ces évolutions sont lentes.
Par exemple, l’effort de guerre et les rationnements suivant la Seconde Guerre Mondiale (tendance de fond) ont engendré le minimalisme dans la mode aux États-Unis, car il fallait limiter la consommation de fil, de toile, de main d’œuvre… Porter un vêtement chargé de détails et riche en fioritures était perçu comme peu patriotique.
Autre tendance responsable du courant minimaliste aux USA : la mécanisation de tous les secteurs de l’industrie et le taylorisme, qui ont conduit les vêtements à être les plus simples possibles pour que l’on puisse les (re)produire en grande série avec un travail humain minimal.
Autre spécificité : les tendances de fond ne sont pas cycliques. Elles ne reviennent pas à l’ordre du jour selon des périodes données, mais forment une succession d’ères et d’époques.
Leur fréquence d’apparition accélère : il a fallu des siècles pour voir apparaître la machine à vapeur, le moteur à explosion, l’électricité ; alors qu’en l’espace de 50 ans, nous avons vu naître l’informatique, Internet et le mobile, et en l’espace de 10 ans, le haut-débit, le e-commerce et les réseaux sociaux.
Les nouvelles tendances qui se bousculent (nanotechnologies, impression 3D, réalité augmentée, intelligences artificielles avancées, big data, consommation collaborative) sont tout autant d’innovations qui vont influencer notre manière de consommer le vêtement.
Par exemple, l’impression 3D nous donnera accès à des personnalisations très peu coûteuses et produites localement : une nouvelle ère du sur-mesure.
Les nanotechnologies feront apparaître de nouvelles fonctionnalités comme des vêtements jamais mouillés, toujours propres ou antiseptiques. Et la réalité augmentée nous permettra d’essayer virtuellement le vêtement sans même avoir à sortir de chez nous…
Les tendances culturelles
Les tendances culturelles sont plus liées aux aspirations et envies des sociétés qu’aux innovations technologiques.
Elles trouvent naissance chez des groupes sociaux aux identités très marquées (sous-cultures, milieux branchés ou marques de niches, tous les trois étant souvent une seule et même entité) avant de connaître une diffusion plus large.
Et à l’inverse des tendances de fond, les tendances culturelles sont cycliques. Selon les décennies, les vêtements sont tour à tour appréciés amples ou plus ajustées.
Les années 2000 étaient par exemple l’apogée des coupes très près du corps, alors que, depuis quelques années, on progresse à nouveau vers une silhouette plus ample ou présentant des contrastes de coupe (exemple : jean slim porté avec un pull ou une parka ample).
Les tendances s’appliquent aux couleurs, aux matières, voire à leur provenance ou au degré de soin apporté à la confection, selon des cycles plus ou moins rapides.
Aujourd’hui, les consommateurs occidentaux sont sensibles aux vêtements épurés mais coupés dans de très belles matières. Ils sont plus attentifs aux finitions et aux données sociales du produit (provenance, conditions de fabrication dans les ateliers, engagement environnemental ou social des entreprises).
Par exemple, cette saison met à l’honneur les matières brutes (flanelle de laine, uniformes recyclés, tweed), ou encore les motifs comme le camouflage pixelisé ou les micromotifs.
Les tendances de marché
C’est ce qu’on appelle aussi parfois de fausses tendances, lubies ou effets de mode. Elles sont devenues monnaie courante dans toutes les classes sociales avec l’essor de la société de consommation. Et ce n’est pas un hasard si c’est chez les Anglo-Saxons qu’on trouve un terme spécifique pour ce phénomène : fads.
Elles n’émergent pas spontanément chez les gens pour être par la suite distribuées par les marques. Au contraire, elles sont créées par les marques et les cabinets de tendances qui les conseillent, pour ensuite inonder les marchés.
Les marques de prêt-à-porter se doivent d’être à la pointe du style, pour être identifiées sur une tendance avant qu’elle ne se propage. Elles comptent ainsi vendre de grandes quantités de produits une fois que la tendance atteint le grand public.
Une autre raison est leur objectif de sortir de la logique de compétition et de standardisation du produit : en faisant un produit différent, on crée son propre marché encore vierge.
Le problème avec les grands groupes et Maisons de luxe, c’est qu’ils lancent leurs propres tendances, souvent absurdes, en sachant qu’elles marcheront forcément. En effet, une grande marque avec des budgets presse aura forcément l’approbation des magazines et des célébrités qu’elle entretient financièrement.
De plus, la presse (et pas forcément sa clientèle) leur demande de produire constamment de la nouveauté pour être alimentée en contenu.
C’est ainsi qu’on arrive à une situation où des tendances complètement improbables apparaissent, comme le pull à imprimé Doberman de Givenchy, ou encore le colorblock qui manque totalement de subtilité.
C’est littéralement l’illustration de l’expression « faire passer des vessies pour des lanternes »…
Vie et mort d’une tendance
Comme on l’a vu, les tendances ont des origines différentes (mouvements culturels et technologiques, sous-cultures, marques), mais toujours les mêmes étapes de vie.
À chaque étape de la courbe d’adoption, on trouve différents groupes sociaux : les innovateurs ; les influenceurs ; les suiveurs ; les sceptiques ; les passifs, qui ne sont pas du tout attentifs aux tendances et prennent ce qui vient à eux.
Nous nous situons tous quelque part sur la courbe. Mais selon les domaines, on se situera à différents endroits.
Par exemple, j’estime faire mécaniquement partie des influenceurs (et non des innovateurs) pour la mode. Mais je me considère comme un innovateur en matière d’entrepreneuriat, comme un suiveur pour les smartphones et l’informatique, comme un sceptique pour les voitures (je me fie totalement au choix des autres) et comme un consommateur passif pour les compagnies d’aviation.
Je prends la moins chère, indépendamment du service à bord ou de la réputation : je veux juste aller d’un point A à un point B, un peu comme un consommateur passif de vêtements voudrait simplement se couvrir le corps.
Que faire des tendances ?
Chercher à se positionner comme innovateur ou influenceur n’est pas forcément une bonne idée. L’essentiel est de vous demander :
- Si le domaine en question compte vraiment pour vous,
- Si vous positionner plus en amont de la courbe a un réel intérêt pour vous.
Je m’explique !
Vous vous en doutez, j’aime beaucoup la mode masculine. Donc effectivement, j’aime expérimenter (quoique modérément) et partager mes découvertes avec vous.
En revanche, je ne cherche pas à être innovant en matière de mode, car les choses trop extravagantes ne m’intéressent pas. D’autant que suivre les dernières tendances bizarres me rendrait moins pertinent pour vous parler d’une mode portable au quotidien : ce serait donc un désavantage pour moi.
De la même manière, je recherche l’efficacité en matière d’équipement informatique. Suivre les dernières tendances (dernier iPhone, derniers logiciels de Cloud) me coûterait plus cher, et me ferait perdre du temps à abandonner certaines technologies au profit de celles qui se sont généralisées entre-temps, et dont le coût d’accès a baissé pour une utilité en hausse.
Par contre, je me tiens très au courant de l’entrepreneuriat, car nous voulons rester innovants sur la distribution de vêtements et également sur la relation client (car cela nous passionne au quotidien).